Le retrait des décisions administratives créatrices de droit
L’autorité compétente pour opérer le retrait d’un acte administratif ne peut être que l’auteur de la décision (même s’il était incompétent pour la prendre), son supérieur hiérarchique ou en cas d’incompétence de l’auteur de l’acte initial, l’autorité qui aurait été compétente pour le prendre. Le retrait doit être motivé (loi du 11.7.79)
I. Le retrait de l’acte créateur de droit régulier
A. Le principe
: le retrait rétroactif des actes réguliers ayant conféré des droits est interdit : Conseil d'Etat, 19.11.1926, Monzat, p. 1002.B. Les exceptions
1. 1ère Exception : la demande de l’intéressé
Le retrait d’un acte régulièrement édicté est admis à la demande de l’intéressé à, la double condition que le retrait ne nuise pas aux droits des tiers et qu’il ne conduise pas à substituer à la décision retirée une décision plus sévère : Conseil d'Etat, 9.1.53, Desfour, p. 5.
2. 2ème exception : le recours hiérarchique spécial
Le retrait en opportunité d’un acte régulier est permis sur la base de textes qui prévoient et organisent une procédure spécifique de recours hiérarchique qui se marque par l’attribution à l’autorité supérieure du pouvoir d’arrêter définitivement la position de l’administration. Le Conseil d'Etat a décidé que de telles procédures pouvaient être instituées par décret : Conseil d'Etat, ass., 29.3.68, Manufacture française des pneumatiques Michelin, RDP 1969 p. 320, conclusions Vught.
a. Hypothèse n°1 : le recours hiérarchique a un caractère obligatoire et constitue un préalable à toute contestation contentieuse. Ainsi, ladite obligation se retrouve dans le domaine médico-hospitalier, création de cliniques privées : Conseil d'Etat, 1.2.1980, Clinique Ambroise Paré, p. 62.
b. Hypothèse n°2 : un texte accorde expressément au supérieur hiérarchique le pouvoir d’annuler et de réformer l’acte de son subordonné et " cela non seulement pour des motifs de légalité mais également pour des motifs d’opportunité ". Ainsi, le ministre du travail, en vertu de l’article R. 436-4 du Code du travail, peut annuler ou réformer la décision d’un inspecteur du travail prise à la suite de la demande d’un employeur sollicitant l’autorisation de licencier un salarié protégé (Conseil d'Etat, 29.3.68, Manufacture française des pneumatiques Michelin précité). Mais cette jurisprudence est abandonnée. Le Conseil d'Etat estime dorénavant que la décision de l’inspecteur du travail accordant ou refusant l’autorisation de licencier un salarié protégé est soumise au contrôle hiérarchique dans les conditions du droit commun et ne peut être annulée par le ministre que pour des motifs de légalité et non plus pour opportunité : Conseil d'Etat, 16.12.1988, Bonzi).
En dehors de ces procédures spéciales, le supérieur hiérarchique n’a pas plus de pouvoirs que l’auteur de l’acte et son intervention dans le cadre d’un recours hiérarchique de droit commun obéit aux règles générales du retrait. L’autorité supérieure ne peut rapporter un acte créateur de droits que pour illégalité et, réserve faîte de la jurisprudence Eve (cf. supra) dans le délai du recours contentieux. C’est la solution de l’arrêt du Conseil d'Etat, ass., 29.3.68, Manufacture française des pneumatiques Michelin, RDP 1969 p. 329, conclusions Vught.
II. Le retrait de l’acte créateur de droit irrégulier
A. Le principe : Conseil d'Etat, Dame Cachet, 3.11.1922, RDP, 1922, p. 552, conclusions Rivet.
L’autorité compétente doit retirer rétroactivement un acte administratif entaché d’irrégularité. Le retrait permet d’obtenir un résultat équivalent à celui d’une annulation contentieuse tout en faisant l’économie d’une saisine du juge. L’analogie entre le retrait et l’annulation contentieuse explique que :
1. Seul un acte entaché d’une illégalité de fond ou de forme peut être retiré
2. L’administration ne peut intervenir que dans le délai du recours contentieux. C’est dire que le retrait doit être notifié avant l’expiration dudit délai.
a. A l’encontre des décisions individuelles, le délai est déclenché à l’égard des personnes qu’elles désignent, par la notification qui leur est faîte.
b. Mais le délai sera déclenché, à l’égard des tiers, au jour d’une publication pertinente
Il en résulte selon la jurisprudence Ville de Bagneux, Conseil d'Etat, 6.5.1966, RDP 1967, p. 339, conclusions Braibant, que même si la notification à la personne intéressée a entraîné, en ce qui la concerne, l’expiration du délai de recours, le défaut de publication ou son insuffisance empêche le délai de courir à l’égard des tiers, lesquels conservent la possibilité de former un recours gracieux ou contentieux. Dès lors la décision n’ayant pas acquis un caractère définitif et quand bien même elle n’aurait fait l’objet d’aucune contestation de la part d’un tiers, l’administration peut légalement prononcer d’office son retrait pour irrégularité.
Pour une illustration de cette jurisprudence, relative au cas d’une publication jugée insuffisante : Conseil d'Etat, 18.2.1994, Wrobel, Droit administratif 1994 n°180.
Concernant les délais, il faut ajouter que les causes de prorogation du délai du recours pour excès de pouvoir constituent autant de cause de prorogation du délai du retrait, comme le dépôt d’un recours gracieux : Conseil d'Etat, 23.10.1970, Peenaert, p. 215. Enfin, le refus de procéder au retrait d’un acte illégal à la demande d’un administré déposée avant l’expiration du délai de recours contentieux constitue un excès de pouvoir : Conseil d'Etat, 23.2.79, Maïa, Tables, p. 597.
B. Les exceptions
1. Le retrait possible même après l’expiration du délai de recours contentieux.
a. 1er aménagement : Le retrait peut être effectué jusqu’à la fin de l’instance statuant sur la demande de retrait. Le retrait ne peut être opéré que dans les limites des conclusions de la requête et sans porter atteinte aux droits définitivement acquis par la partie de la décision qui n’a été ni attaquée ni rapportée dans les délais. Dans cette hypothèse, le juge prononce le non-lieu à statuer sur la requête en annulation.
b. 2ème aménagement : lié à la pleine exécution de la chose jugée. Ainsi lorsqu’il existe entre la décision individuelle annulée et d’autres décision individuelles non attaquées une connexité qui rend indivisibles les situations respectives des intéressés : l’acte conséquence doit être retiré, le cas échéant, même au delà du recours contentieux. Exemple : l’annulation de la mesure d’éviction d’un fonctionnaire impose le retrait de la nomination de son successeur : Conseil d'Etat, 20.01.1939, Hollender, p. 20.
2. Le retrait impossible même avant l’expiration du délai de recours contentieux : il s’agit des décisions tacites d’acceptation ou d’autorisation ou plus exactement de celles d’entre elles qui n’ont fait l’objet d’aucune mesure de publicité. Au jour où une telle décision est formée, l’administration est dessaisie et il ne lui est plus possible même dans le délai de recours contentieux de revenir sur sa décision : Conseil d'Etat, Eve, 4.11.1969. Cette jurisprudence est favorable aux bénéficiaires de l’autorisation tacite mais est sévère pour les tiers qui perdent la garantie du recours administratif ou contentieux. Mais lorsqu’est institué une procédure de publication de l’autorisation tacite, cette jurisprudence ne joue plus. Il en est ainsi des permis de construire après l’expiration du délai d’instruction, affiché en mairie et sur le terrain. (cf. à ce sujet l’article 21 du projet de loi n°153 relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations enregistré à la présidence du Sénat le 14.01.1999 actuellement en cours de navette au Parlement : Une décision implicite d'acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l'autorité administrative : 1° Pendant le délai du recours contentieux, lorsque le régime qui lui est applicable a prévu des mesures de publicité; 2° Dans le cas contraire, pendant un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née la décision.)