PROPOSITION D'INTRODUCTION SOUS L'ARRET CANAL DE GIGNAC, T.C. 9 DECEMBRE 1899.
[L'intérêt du sujet]
En l'absence de qualification textuelle de la nature juridique de l’Association du canal de Gignac, l'apport de l'arrêt rendu le 9 décembre 1899 par le Tribunal des conflits, contribue à préciser les critères jurisprudentiels de distinction entre les établissements publics et les établissements d'utilité publique.
L'arrêt s'appuie notamment sur la présence de prérogatives de puissance publique dans le régime juridique des associations syndicales autorisées de propriétaires dont celles prévues à l'article 58 du règlement d'administration publique en date du 9 mars 1894 (le préfet peut "après mise en demeure, inscrire d'office au budget le crédit nécessaire pour faire face " à "l'acquittement des dettes exigibles"), pour admettre la qualification d'établissement public, avec toutes les conséquences qui s'attachent à la reconnaissance de la personnalité morale de droit public et notamment l'impossibilité de mettre en œuvre les voies civiles d'exécution pour obtenir le recouvrement des créances sur des particuliers.
[La délimitation du sujet et les faits de l'espèce]
Créées par la loi du 21 juin 1865, et organisées par le règlement d'administration publique du 9 mars 1894, lesdites associations ont pour objet de regrouper des propriétaires sur une portion de territoire donnée, afin d'organiser dans leur intérêt collectif, des travaux de nature à protéger, mettre en valeur ou assainir ladite portion. La question de leur nature privée ou publique fut dès l'origine débattue en doctrine. Aucoc défendait la personnalité publique alors que Ducrocq y voyait - comme d'ailleurs un arrêt de la cour de cassation en date du 1er décembre 1866 - des établissements d'utilité publique, donc des établissement régis par le droit privé.
En l'espèce, les consorts Ducornot, reconnus créanciers de l'association syndicale autorisée de propriétaires du Canal de Gignac par jugement du 24 juin 1891, ont saisi la juridiction judiciaire, afin d'obtenir la mise en œuvre des voies d'exécution prévues par le Code de procédure civile pour obtenir le recouvrement de leur créance. Le préfet éleva le conflit (d'attribution positif) mais un jugement du 5 juillet 1899 du tribunal civil de Lodève, en rejetant le déclinatoire élevé par le préfet, cru pouvoir ordonner l'exécution du jugement de 1891 précité, en application du Code de procédure civile.
Le Tribunal des conflits, en confirmant dans l'arrêt à commenter, l'arrêté de conflit pris par le préfet de l’Hérault, s'appuie sur la présence des prérogatives de puissance publique attribuées aux susdites associations, pour leur reconnaître la qualification d'établissement public et par suite, interdire qu'il soit recouru, par leurs créanciers, aux voies d'exécution civiles pour recouvrer leur créance.
[La problématique: le point de droit]
Une lecture attentive de l'arrêt, confrontée au faisceau d'indices déterminé par la jurisprudence postérieure à l'arrêt rendu en matière de distinction des établissements d'utilité publique et des établissements publics et confirmée par l'effort de rationalisation de la doctrine (René Chapus notamment), conduit à relativiser le caractère déterminant de la présence des prérogatives de puissance publique dans le statut juridique desdites associations. Dès 1899, les deux autres critères de l'origine législative ou réglementaire de la création de l'établissement et des sujétions imposées par l'autorité publique à l'établissement n’ont pas été négligés pour conclure à la qualification d’établissement public. L'absence en l'espèce du quatrième critère - celui du but d'intérêt général recherché par l'activité de l'établissement - semble en revanche n'avoir pas joué en défaveur de la reconnaissance de la personnalité publique.
Concernant les conséquences liées à la reconnaissance de la personnalité publique, il paraît étonnant qu'elles aient posé problème, allant jusqu'à nécessiter un arbitrage du Tribunal des conflits, dès lors qu'un texte - l'article 58 du règlement d'administration publique cité plus haut - posait clairement l'application de la voie d'exécution administrative pour le paiement des dettes exigibles contractées par les associations en cause.
[Annonce du plan]
L'arrêt à commenter permet ainsi d'une part de relativiser la considération des prérogatives de puissance publique pour la qualification en établissement public de l'association syndicale autorisée de propriétaires du canal de Gignac (I) et d'autre part de déterminer les conséquences découlant de cette qualification (II).