Conseil d'Etat, section, Société Propétrol, 5 novembre 1982,

AJDA 1983, p. 259, concl. Labetoulle ; D. 1983. J. 245, note Dubois; JCP 1984.II.20168, note Paillet.

Ś La déconstruction de l’arrêt : identification et qualification juridique des faits.

Au fond: Considérant qu'aux termes de l'art. 56 du cahier des clauses administratives générales applicables au marché conclu le 16 mai 1972 entre l'office et la société pour la fourniture du fuel-oil domestique ... " il peut être pourvu par la collectivité à l'exécution de la fourniture aux frais et risques du titulaire, soit en cas d'inexécution, par ce dernier, d'une livraison qui, par nature, ne peut souffrir aucun retard, soit en cas de résiliation du marché prononcée en vertu de l'article précédent " ; [les termes du contrat : présentation de la règle de droit applicable en l’espèce, le contrat étant la loi des parties]

Considérant qu'il résulte de l'instruction [ce terme annonce la présentation des faits] que, par lettre du 23 juill. 1973, la Soc. Propétrol a fait part à l'office de sa décision de cesser " en toute hypothèse " ses livraisons à compter du 23 août 1973 et lui a demandé " de se mettre en quête d'un nouveau fournisseur " -. qu'elle a effectivement refusé d'effectuer une livraison le 28 sept. 1973 ; [rupture unilatérale du contrat administratif] que par décision du 5 oct. 1973, le président de l'office a prononcé la résiliation du marché aux torts exclusifs du titulaire et décidé de passer un marché de substitution, qui a été conclu le 8 oct. 1973 ; [application par l’administration contractante de la clause contractuelle prévue en cas d’inexécution des obligations contractuelles]

Considérant que la circonstance que la résiliation du marché conclu avec la Soc. Propétrol aurait été prononcée à la suite d'une procédure irrégulière est sans influence sur la validité du marché de substitution, qui, en application de l'art. 56 précité du cahier des clauses administratives générales, pouvait, indépendamment de toute résiliation, être pour l'ensemble des livraisons restant à effectuer, dès lors que la société avait définitivement. mis fin à l'exécution du marché ;

Considérant que, si la hausse survenue à partir du mois de mai 1973 sur le marché international du fuel-oil domestique [la circonstance particulière rencontrée pendant l’exécution du contrat] était de nature, en l'absence d'une augmentation du tarif officiel servant de base à la détermination du prix contractuel, à rendre plus onéreuse l'exécution du marché, cette circonstance [précitée] ne constituait pas un cas de force majeure mettant la société dans l'impossibilité [ce que soutient dans un premier temps la société requérante non sans avoir paradoxalement proposé de renégocier le contrat au niveau financier, ce qui prouvait du même coup la possibilité de livrer matériellement la fourniture contractuelle] d'effectuer les fournitures prévues au contrat;

Qualification juridique des faits : Rejet par le juge de reconnaître l’existence de la force majeure. Quid de la force majeure financière ? Est-elle reconnue ? Il faut alors vérifier si les conditions retenues par le juge sont conformes avec celles posées par la jurisprudence antérieure, pour déterminer l’éventuel revirement ou confirmation ; vérifier de même avec la présentation doctrinale de la force majeure sans négliger l’apport du droit privé . En profiter pour illustrer par des cas de reconnaissance de force majeure par le juge, des rejets, et par l’éclairage des conclusions de commissaires de Gouvernement au Conseil d'Etat.

qu'étant par ailleurs indépendante du fait de l'administration partie au contrat, Qualification juridique des faits : procéder de même avec la théorie du fait du Prince ici rejetée par le juge. Discuter du rôle de l’Etat dans l’affaire qui n’a pas prononcé la hausse du tarif officiel du fuel-oil.

elle aurait seulement autorisé la société, si elle avait continué à remplir ses obligations contractuelles à présenter, le cas échéant. une demande d'indemnité fondée sur l'existence d'un fait imprévisible ayant provoqué un déficit d'exploitation de nature à entraîner un bouleversement de l'économie du contrat;

Ce considérant renvoie d’une part à la définition (fait imprévisible ayant provoqué un déficit d'exploitation de nature à entraîner un bouleversement de l'économie du contrat) de la théorie de l’imprévision et d’autre part à ses effets. Vérifier alors les conditions d’application : la continuité du service public, de la théorie avec le cas d’espèce. Puis vérifier l’effet principal de l’application de la théorie de l’imprévision : l’allocation d’une indemnité compensatoire mais non intégrale au cocontractant victime d’une situation extra-contractuelle (imprévisible), c’est à dite non prévue et non prévisible au moment de la conclusion du contrat. Illustrer par la jurisprudence antérieure et postérieure pour là encore, dire si l’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante et confirmée ou innovatoire et instable.

que l'office n'avait, en revanche, aucune obligation de conclure avec la Soc. Propétrol un nouveau marché comportant des prix plus élevés que ceux du marché initial [la lecture des conclusions de D. Labetoulle éclaire cette assertion : la société requérante avait proposé, à deux reprises, la renégociation du contrat sur de nouvelles bases financières] et, en présence de la défection de son fournisseur, était en droit de passer, comme il l'a fait, un marché de substitution avec un autre fournisseur;

La conclusion de l’arrêt, le dispositif : Considérant qu'en vertu de l'art. 5 du cahier des prescriptions spéciales, le supplément de prix résultant du marché de substitution doit être supporté par le titulaire défaillant; qu'il résulte de l'instruction que la somme de 359 695,56 F que le tribunal administratif a condamné la Soc. Propétrol à verser à l'office, correspond uniquement au supplément de prix résultant de ce que le marché de substitution ne comportait pas de rabais et ne tient pas compte des augmentations du tarif officiel que l'office aurait dû subir même si l'exécution du marche initial s'était poursuivie [détermination du quantum de l’indemnité: que couvre l’indemnité d’imprévision ?] ; qu'en concluant un marché de substitution sans rabais, l'office n'a pas commis une faute lourde, qui aurait seule été de nature à permettre à la société de demander une réduction des sommes mises à sa charge en application de l'art. 5 susrappelé du cahier des prescriptions spéciales,

Considérant qu 'il résulte de tout ce qui précède que la Soc. Propétrol n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement attaqué

Ť La reconstruction de l’arrêt : proposition de plan sur l’arrêt Propétrol

  1. La Société Propétrol ne peut invoquer ni un cas de force majeure, ni la théorie du fait du prince

  1. Les conditions ne sont pas réunies :

  1. La livraison n’était pas impossible : la force majeure financière n’est pas reconnue. En effet, Tardieu (par ailleurs Président du Conseil en 1929-30 et 1932) dans ses conclusions sur l’arrêt Cie des messageries maritimes, 29.01.1909, p.112 rappelle les trois conditions de la force majeure : fait indépendant de la volonté du débiteur ; un fait qu’il n’a pu prévenir ou empêcher, un fait qui met dans l’impossibilité absolue de remplir ses obligations. cf. Conseil d'Etat, 9.12.1932, Cie des tramways de Cherbourg, GAJA 11ème édition n° 50
  2. L’office ne fixe pas le tarif officiel : compétence de l’Etat. Il y a fait du Prince, comme le dit Hauriou dans sa note sous l’arrêt Prévet du 8.01.1901, S. 1902. III. p. 73  "  lorsqu’une administration publique, étant liée avec un particulier par un de ces contrats qu’entraîne l’exécution de services publics, apporte un changement au contrat par un de ces actes où se révèle la puissance publique indépendante, particulièrement un acte réglementaire ; c’est donc le fait de la puissance publique qui, après avoir condescendu à traiter, tout d’un coup se retrouve Prince, c’est à dire absolu au sens originaire du mot affranchie de tout lien et cela dans des circonstances telles que cette manifestation du pouvoir absolu est de nature à modifier les éléments de la situation contractuelle qu’elle avait auparavant laissé s’établir. " cf. Conseil d'Etat, 21.3.1910, Cie générale française des tramways, GAJA 11ème édition n° 25.

  1. Les effets recherchés ne seront donc pas atteints

  1. Pas de force majeure : La résiliation non fautive du contrat n’est pas reconnue, le contrat doit être appliqué.
  2. L’indemnisation intégrale de la hausse de prix n’est pas assurée car l’office n’est pas responsable du non relèvement du tarif officiel par l’Etat.

  1. Ni bénéficier de la théorie de l’imprévision seule susceptible d’être reconnue en l’espèce (cf. Conseil d'Etat, 30.3.1916,Gaz de Bordeaux, GAJA n°34)

  1. Les conditions étaient réunies en l’espèce 
  2. 1. Faits présentant un caractère anormal et imprévisible: l'aléa extraordinaire, inimaginable lors de la conclusion du contrat.

    2. Fait indépendant de la volonté du cocontractant (différence avec le fait du Prince): la hausse des prix résulte d’une décision des pays de l’OPEP et le retard dans l’ajustement du tarif officiel incombait à l’Etat et non à l’office, personne publique contractante.

    3. Bouleversement profond qui rend plus difficiles mais non impossibles (différence avec la force majeure) les conditions d’exécution contractuelles au delà des aléas prévisibles. Il faut que le cocontractant subisse un déficit et non une simple perte de profit: ce qui est le cas en l’espèce.

  3. Mais la société, en décidant d’interrompre unilatéralement les livraisons, ne peut plus se fonder sur la théorie de l’imprévision

  1. La théorie de l’imprévision ouvre droit à compensation financière si le cocontractant s’engage poursuit l’exécution du contrat car elle est fondée sur la nécessité d’assurer la continuité du service public. En cessant d’honorer les livraisons, elle commet une faute et s’expose aux sanctions prévues par le contrat.
  2. La non-reconnaissance de la force majeure lui a fait perdre sur les deux tableaux car :

  1. le refus de livrer ne peut être considéré comme une inexécution non-fautive
  2. le refus de livrer ne donne pas droit à une indemnité d’imprévision dès lors que le contrat n’est pas poursuivi

Ž La destruction de l’arrêt : à paraître !