L’Article 3 du décret du 28.11.1983 : " L’autorité compétente est tenue de faire droit à toute demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, soit que le règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date ".

I. Une " consécration au niveau réglementaire de courants jurisprudentiels " par l’article 3

(L’expression citée entre guillemets est extraite du rapport remis au Président de la République et publié au J.O. en exergue du décret du 28.11.1983)

A. L’abrogation des règlements devenus illégaux

L’abrogation d’un règlement dont l’illégalité résulte de circonstances postérieures à sa date de signature : la mise en œuvre de la jurisprudence Despujol, Conseil d'Etat, 10.01.1930, GAJA, n°46, 12ème éd. . Cet arrêt pose le principe de l’adaptation des règlements aux circonstances. La contestation directe après l’expiration du délai de recours contentieux d’un texte illégal dès l’origine n’était pas prévu.

1. L’illégalité résultant de modifications des circonstances de fait :

Il faut que le changement soit réel de telle sorte que le règlement se trouve privé de base légale. Les intéressés peuvent à tout moment demander à l’auteur du règlement de l’abroger ou de le modifier pour l’avenir. Cette jurisprudence s’est appliquée aux règlements de police qui dépendent étroitement des circonstances de lieu, de temps et de l’état des mœurs. L’arrêt Simonnet du 10.01.1964, p. 19 assure la transposition dans le domaine des actes unilatéraux de la théorie de l’imprévision prévue pour les contrats. C’est dire qu’en matière économique, seul un bouleversement et non un changement même important (conclusions Braibant sur cet arrêt) permet de caractériser un changement dans les circonstances de fait susceptible de fonder l’abrogation d’un règlement.

2. L’illégalité résultant de modifications des circonstances de droit :

En cas de situation juridique nouvelle créée par une loi ultérieure, les intéressés peuvent dans un délai de deux mois suivant la publication de ladite loi demander l’annulation pour excès de pouvoir du règlement. L’arrêt Syndicat national des cadres des bibliothèques, Conseil d'Etat, 10.01.1964, p. 17 revient sur une potentialité de l’arrêt Despujol : en effet, les intéressés ne peuvent demander l’annulation du règlement lui-même mais sa modification pour l’avenir.

L’article 3 du décret unifie les délais de recours : que le changement résulte de la modification de circonstances de fait ou de droit, l’article 3 du décret permet de demander l’abrogation d’un règlement à toute époque, même au-delà du délai de deux mois de recours contentieux. Illustration: Conseil d'Etat, FSU, 31.1.1996, p. 699.: illégalité décret déterminant conditions de désignation des représentants des salariés au CES suite à la constitution d'un nouveau syndicat.

B. L’obligation d’abroger les règlements illégaux ab initio

1. L'exception d'illégalité : a toujours permis d'écarter l'application d'un règlement devenu illégal: Conseil d'Etat, 29.05.1908, Poulin, p. 580. De plus, l’administration a toujours pu retirer - avec effet rétroactif - les règlements illégaux dans le délai du recours contentieux ; est obligée de le faire si saisie en ce sens : Conseil d'Etat, 25.10.1985, Tabel. De son propre chef toujours, l’administration peut décider, à toute époque de prononcer l’abrogation.

2. L’abrogation ab initio avait été rendue possible par l’arrêt du Conseil d'Etat, Leboucher et Tarandon du 12.5.1976, p. 246, selon lequel " l’auteur d’un règlement illégal ou son supérieur hiérarchique, saisi d’une demande tendant à l’abrogation de ce règlement est tenu d’y déférer "

II. Une consécration au niveau jurisprudentiel des dispositions de nature réglementaire de l’article 3 

A. La reconnaissance d’un principe général dont " s’inspire " l’article 3

1. La reconnaissance par l’arrêt Alitalia, 3.2.1989 d’un " principe général du droit " permet …: l’arrêt formule le principe et considère ensuite que les dispositions du décret s’en inspirent : le principe préexistait au décret. Et ce alors que dans un premier temps, le Conseil d’Etat dans un arrêt Société civile le Tahiti, 15.4.88, p. 140 avait déclaré que le décret ne pouvait faire échec à l’application d’une disposition législative spéciale (selon laquelle les POS ne peuvent être abrogés) et appliqué ledit article 3 dans un arrêt Conseil national de l’ordre des médecins, 20.4.88, p. 146, sans soulever la question de sa légalité. Cf. arrêt Meyet du 2 juin 1999 (contrôle n°3 du premier semestre): transposition de la jurisprudence Alitalia en matière législative: disposition législative (loi de 1977 sur l'interdiction des sondages électoraux dans la semaine précédant le scrutin) devenue incompatible avec le droit conventionnel (CEDH).

2. … le contournement de l’arrêt Ministre du travail et de la participation / Société France Afrique Transactions, p. 32, du 30.01.1981 : le Conseil d'Etat contourne la difficulté née d’une hypothèse voyant un règlement contredire une décision du Conseil d'Etat (la décision de 1981 précitée) alors que celui-ci est juge de la légalité de celui-là. L’arrêt de 1981 revenait à la jurisprudence antérieure : Conseil d'Etat, Coopérative laitière de Belfort, 6.11.1959, p. 581 en revenant sur la jurisprudence Leboucher et Tarandon.

B. Un aménagement par la jurisprudence du Conseil d'Etat

1. Un aménagement restrictif :

Le nécessaire intérêt à agir dans la demande d’abrogation : dès les conclusions Chahid-Nouraï " Ce ne seront pas tous les citoyens qui pourront demander l’abrogation car il est impossible d’envisager l’abandon de la règle fondamentale selon laquelle n’importe qui ne peut demander n’importe quoi ".

Consacré par Conseil d'Etat, Vedel et Jannot, 20.12.1995, " qu’ils (les requérants) justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation du refus d’abroger les dispositions (…) ". N’ont intérêt à agir contre le refus d’abroger un règlement illégal, les seuls justiciables qui ont intérêt à demander l’abrogation dudit règlement et non ceux qui se sont vus opposer un refus à une demande d’abrogation sans avoir intérêt à demander l’abrogation du règlement lui-même.

2. Un aménagement extensif :

a. Aménagement du parallélisme des compétences : L’autorité compétente pour abroger reste celle qui l’était pour prendre l’acte attaqué dans l’hypothèse où l’autorité compétente pour prendre ledit acte au moment de la demande d’abrogation n’est plus celle qui l’était à l’époque de la signature de l’acte attaqué. Ainsi si la matière sur laquelle porte le règlement relève désormais du domaine législatif, le chef du Gouvernement reste compétent pour procéder à l’abrogation: Conseil d'Etat, 20.12.1995, Mme Vedel précitée.

b. En vertu des articles L.8-2 et L. 8-3 du Code des TA et CAA issus de la loi n° 95-125 du 8.2.1995, le juge administratif peut adresser à l’administration des injonctions en vue de faire exécuter la chose jugée pour la forcer (art. L.8-2), le cas échéant sous astreinte (art. L. 8-3), à abroger le règlement déclaré illégal. Illustration pour des actes non réglementaires: Conseil d'Etat, Calbo, 21.2.1997, p. 1018. Préalablement, Conseil d'Etat, Association Les Verts, 30.11.1990 avait étendu les principes de l’arrêt Alitalia aux actes non réglementaires. Mais la décision ne vise pas les décisions illégales ab initio, et ne concerne que les décisions non créatrices de droit.